De la coupe à l'ombre...Deuxième partie

Publié le par Dan Rodgerson

 

A quelques temps de là, j’entrepris une randonnée pédestre vers les Monts du Glatzkopf. Le sentier caillouteux qui menait au col traversait plusieurs hameaux venteux aux maisons basses où vivaient quelques pauvres hères qui fermaient sur mon passage les contrevents en vociférant. A mesure que je progressais vers les hauteurs, il me semblait que la lumière du soleil elle-même devenait moins vive, comme si elle se retirait progressivement de ces terres oubliées des hommes et du percepteur.

 

Un crachin glacé m’obligea à m’arrêter sous le porche d’une chapelle isolée dont le clocheton tenait par je ne sais quel miracle. Je me désaltérai d’un peu d’eau fraiche que m’avait préparée l’aubergiste avant mon départ dans une gourde en peau. Je ne savais que faire ? Devais-je continuer ou rebrousser chemin ?

 

de la coupe à l'ombre 2


Tout à mes interrogations, je ne remarquai pas que des formes mouvantes s’étaient rapprochées de moi et s’étaient mises en demeure de me palper. C’étaient des vieillards hirsutes qui me saisirent à pleines mains et m’emmenèrent en contrebas du sentier. J’aurais voulu résister que je n’aurais pu. Leur poigne était solide ce que démentait leur allure fragile. Ils me conduisirent ainsi dans une chaumière cachée par un repli de terrain et m’assirent face à un feu pétillant et chaud. Encore abasourdi, la première pensée qui me vint fut : « mais où ont-ils trouvé le bois dans ces terres arides et pierreuses ? »


Ils m’offrirent de partager leur repas, une soupe aux légumes aux saveurs subtiles, un peu de pain, fondant et croustillant tout à la fois et une boisson qui s’apparentait à du vin mais n’en était pas cependant.


A mesure qu’avançait la soirée, je pus observer plus à loisir mes hôtes. Ils ne ressemblaient pas aux habitants que j’avais croisés plus bas sur le sentier. N’étaient leurs cheveux longs et leurs barbes, ils avaient dans le visage une certaine noblesse et des traits fins et réguliers. Je m’en ouvris à eux. Celui qui semblait être le chef me fit le récit suivant, d’une voix grave et rocailleuse, peu habituée à faire des longs discours et cherchant les mots justes.


« Du temps de mon grand-père, on habitait plus bas, dans la vallée. On était employés chez un merlan, un coupe tifs, si vous préférez. Ah, il était pas commode le patron ! Prêt à nous prendre aux cheveux quand ça n’allait pas comme il voulait. Et puis alors, coupeur de cheveux en quatre. Rien n’était jamais assez bien avec lui. Avec les clients, il bavassait sans cesse, un raseur de première et avec son cheveu sur la langue on entravait pas tout ce qu’il disait.


On en avait tous un peu ras la tonsure d’un type pareil. Toujours est-il que le grand chevelu, là haut, a du nous entendre.


Voilà qu’un soir, il manque de se faire buter. Il s’en est sorti, mais il avait eu une de ces peurs qui font se dresser les cheveux sur la tête.


De ce jour il s’est fait plus discret, comme s’il avait envie de se fondre dans le décor. On n’était pas plus tranquille pour autant. Certains pensaient qu’on était de mèche avec l’agresseur. Quoi qu’on fasse, on se sentait toujours sur le fil du rasoir. Et puis on avait pas envie de se faire boucler pour une histoire dans laquelle on était pour rien. On a voulu couper court aux rumeurs.


Un matin on débarque chez lui pour qu’il nous parle de ses agresseurs. A un cheveu près on aurait pu l’attraper au saut du lit. Mais il s’était tiré. Quelle barbe ! Qu’est-ce qu’on pouvait faire ? Parler à ceux qui nous cherchaient des poux dans la tête ? On voyait d’ici les plus sceptiques nous dire que toutes nos explications étaient tirées par les cheveux. On est parti à notre tour.


Et depuis nous voyageons, un jour ici, un jour ailleurs. Cette histoire n’est plus tragique aujourd’hui et on rit souvent de notre ancien patron. C’est vrai qu’il s’est mis à raser les murs après avoir frisé la mort. »


Paul Mertz

Publié dans histoires comme ça

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Q
<br /> Tu as merveilleusement illustré les textes de Paul. J'aime beaucoup leur rendu sur ton blog.<br /> <br /> Vous faites de beaux complices, tous les deux !<br /> <br /> Merci, Dan.<br /> <br /> Passe une belle soirée.<br /> <br /> <br />
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